📌 Contexte
Depuis le lancement de l’Initiative Belt and Road (BRI) par Xi Jinping en 2013, la Chine ne cesse d’étendre ses infrastructures économiques, logistiques et technologiques dans le monde entier. Si l’attention médiatique s’est d’abord concentrée sur les autoroutes, les ports ou les lignes ferroviaires, une autre dimension plus discrète s’est développée : la route de la soie numérique. Loin d’un simple volet technologique de la BRI, il s’agit d’une stratégie de connectivité numérique globale, à forte dimension géopolitique. L’Afrique y occupe une place centrale, à la fois comme terrain d’expérimentation, marché stratégique et levier d’influence.
🌍 Pourquoi l’Afrique ?
Un continent en pleine transition numérique
- En 2022, près de 60 % des Africains n’avaient toujours pas accès à Internet, mais la croissance du taux de connectivité est l’une des plus rapides au monde.
- Les besoins en infrastructures sont immenses : fibre optique, centres de données, satellites, couverture mobile, etc.
- L’Afrique représente un marché stratégique pour les technologies mobiles, les plateformes numériques et les services cloud.
La Chine a vu dans ce déficit numérique une opportunité économique et politique. Là où les puissances occidentales hésitent ou conditionnent leurs financements, Pékin avance avec rapidité, discrétion et pragmatisme.
📡 Les outils de la route de la soie numérique
Infrastructures et fibre optique
Huawei, ZTE et d’autres géants chinois ont posé des milliers de kilomètres de câbles sous-marins et terrestres reliant l’Afrique à l’Asie, au Moyen-Orient et à l’Europe. Le câble PEACE (Pakistan & East Africa Connecting Europe), lancé en 2019, relie le Pakistan, Djibouti, l’Égypte et la France en passant par les côtes africaines.
La Chine participe également à la construction de réseaux 4G et 5G sur le continent, notamment en Angola, en Éthiopie, au Nigeria et en Afrique du Sud.
Centres de données et souveraineté numérique
Les entreprises chinoises investissent massivement dans les centres de stockage de données. À Accra, Nairobi ou Johannesburg, de nouvelles infrastructures numériques voient le jour, souvent en partenariat avec les États ou via des prêts de la China Exim Bank.
Cette dynamique soulève une question centrale : qui contrôle les données africaines ? Si les infrastructures appartiennent aux États, les logiciels, protocoles et systèmes sont souvent conçus et gérés par des entreprises chinoises.
Plateformes et services numériques
Outre les infrastructures, la Chine développe également des services : plateformes de paiement mobile, e-commerce, cloud computing, villes intelligentes. Alibaba Cloud ou Tencent se positionnent pour fournir des solutions intégrées aux administrations africaines.
Dans certaines villes, comme Kampala ou Addis-Abeba, des systèmes de vidéosurveillance à reconnaissance faciale ont été installés avec l’aide de Huawei, dans le cadre de programmes de « Safe City ».
🧠Une stratégie d’influence globale
Diplomatie technologique
La route de la soie numérique est un instrument de soft power. En proposant des solutions clés en main, à bas coût et sans condition politique, la Chine gagne en légitimité et en influence dans de nombreux pays.
Des milliers de fonctionnaires africains sont formés en Chine aux technologies de surveillance, de gouvernance numérique ou d’intelligence artificielle. Ce transfert de savoirs s’accompagne souvent d’une diffusion des normes et des standards chinois.
Modèle de gouvernance numérique
La Chine promeut un modèle de cybersouveraineté où chaque État contrôle pleinement son Internet, ses plateformes et ses données. Ce modèle est séduisant pour certains gouvernements africains autoritaires ou soucieux de maîtriser l’opinion publique.
Contrairement au modèle occidental, fondé sur la neutralité du Net, la protection des données personnelles et la liberté d’expression, le modèle chinois met l’accent sur la stabilité sociale, la sécurité nationale et l’efficacité gouvernementale.
Redéfinir l’ordre numérique mondial
Au-delà de l’Afrique, la route de la soie numérique participe à la redéfinition des rapports de force dans le cyberespace. En finançant les infrastructures, en diffusant ses technologies et en formant les élites numériques, la Chine tente d’imposer ses standards, en concurrence avec ceux des États-Unis et de l’Union européenne.
⚠️ Risques, critiques et controverses
Endettement et dépendance
Comme pour les projets d’infrastructure traditionnels de la BRI, certains projets numériques créent une dépendance financière des États africains vis-à -vis de la Chine. Les contrats sont souvent opaques, les clauses de souveraineté peu claires, et les mécanismes de remboursement peu soutenables.
À Djibouti, par exemple, la dette publique envers la Chine a atteint 70 % du PIB. Le pays abrite à la fois une base militaire chinoise et un nœud de la route de la soie numérique, posant des questions sur son autonomie.
Surveillance et libertés numériques
Les systèmes de vidéosurveillance, d’identification biométrique et de contrôle des réseaux sont accusés de favoriser la surveillance de masse. En Ouganda, des militants et journalistes ont vu leurs téléphones espionnés via des technologies de surveillance livrées dans le cadre d’accords avec des firmes chinoises.
Des ONG, comme Freedom House ou Privacy International, dénoncent une diffusion des technologies autoritaires dans les pays du Sud, avec peu de garde-fous.
Manque de transparence et souveraineté numérique
Certains gouvernements africains commencent à remettre en cause l’ampleur de la présence chinoise dans leurs systèmes numériques. Le Kenya, le Ghana ou le Nigéria explorent des partenariats alternatifs ou tentent de mieux réguler l’accès aux données publiques.
La question de la souveraineté numérique africaine devient centrale : comment développer des infrastructures sans renoncer au contrôle stratégique des systèmes et des données ?
🧠Alternatives, résistances et nouvelles dynamiques
Vers une stratégie africaine unifiée ?
L’Union africaine cherche à bâtir une stratégie continentale pour la transformation numérique. L’objectif : mutualiser les investissements, définir des normes communes, et renforcer la souveraineté technologique du continent.
Le projet de Marché unique numérique africain (MUDA) vise à harmoniser les régulations, favoriser les startups locales et limiter les dépendances.
Émergence d’acteurs africains
Malgré la domination des grandes entreprises étrangères, un écosystème numérique africain est en plein essor. Des entreprises comme Andela, Flutterwave ou M-Pesa innovent dans le paiement, l’e-santé ou la formation numérique.
Des voix appellent à développer des technologies de rupture africaines, qui répondent aux besoins locaux et valorisent les savoir-faire du continent.
Partenariats alternatifs
Face à l’influence croissante de la Chine, des initiatives émergent pour proposer des modèles alternatifs : partenariats public-privé, collaborations avec l’Europe, appui à l’entrepreneuriat local.
L’Union européenne tente, avec sa stratégie Global Gateway, de contrer la BRI sur le terrain des infrastructures durables et éthiques. Mais elle reste à la traîne face à la rapidité d’exécution chinoise.
📝 Conclusion
La route de la soie numérique en Afrique incarne une nouvelle forme de diplomatie stratégique, technologique et culturelle. Si elle répond à des besoins réels en matière d’infrastructure et de connectivité, elle pose aussi des défis majeurs en termes de souveraineté, de transparence et de libertés numériques.
L’enjeu pour l’Afrique est désormais de ne pas devenir un simple terrain de jeu des grandes puissances, mais de construire son propre modèle numérique, souverain, inclusif et durable. Face à la bataille des routes numériques, l’avenir du continent pourrait bien se jouer dans les lignes de code autant que dans les câbles sous-marins.
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